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Destinataire: rédaction uneparjour et auteur de l'image

Concerne la photographie: upj_traunig487

Genève - 17 heures 47La nuit tombe, j'embrasse mes enfants.

La nuit tombe, il embrasse les siens, sa fille pleure.

J'ouvre le journal et le parcours distraitement. Puis me dirige vers le frigo, prends un yogourt. Par la fenêtre ouverte, je regarde rosir le Mont-Blanc, écoute le vent se faufiler dans le feuillage.

L'homme ferme la porte de la chambre à coucher. Il va au salon, allume la radio et tend l'oreille vers le poste qui crépite. Des chiens, dehors, aboient. Un bruit de tonnerre se rapproche de la maison. Sa femme se précipite vers lui en criant ; elle tient leur fille qui sanglote dans les bras. L'aîné des enfants, un garçon, veut sortir, mais son père le retient. Ils crient. Ils crient parce qu'ils ne s'entendent plus, submergés par un vacarme effrayant. Ils crient parce qu'ils ont peur.

La nuit tombe, dissout le jour. Je glisse La flûte enchantée dans le lecteur CD. Je pense à mon fils, renvoyé de l'école pour avoir allumé un fumigène en classe. Papageno m'emporte loin de ces brumeuses réflexions. Je sifflote l'air de Mozart, plante ma cuillère dans le yogourt. Je pose ensuite le journal, prends un livre, le feuillette sans conviction. Le glockenspiel tintinnabule et repousse définitivement mon envie de lecture ; je m'abandonne tout entier à la douceur de ce paisible vendredi soir.

La nuit est tombée. La terre tremble comme si elle allait accoucher d'une vague immense. Un cri strident passe au-dessus du toit, déchire l'air, recouvre les hurlements et les pleurs. Un orage de feu, une pluie d'acier s'abat sur la ville. La mère, le père, les deux enfants sont pétrifiés. Ils se serrent les uns contre les autres. Au loin on entend le choc sourd d'explosions…

Mes enfants dorment. Mozart s'est tu.

Un soldat défonce la porte, braque son arme sur la famille regroupée au milieu du salon. Il est suivi de trois autres. Une voix ordonne de sortir. Les lumières d'un hélicoptère balayent la maison. De la poussière est soulevée, l'air est irrespirable. Des cris partout se mêlent aux rugissements des moteurs. Le père ne veut pas bouger, il ne veut pas sortir de chez lui. Sa femme le tire par la manche. Elle lui dit quelque chose. Ses mots, inaudibles, sont immédiatement engloutis par le chaos sonore. L'aîné, en larmes, se recroqueville aux pieds de son père, lui enlace les jambes. Un des soldats l'agrippe par le pantalon pour le traîner dehors. Le père tombe. La mère hurle. Les soldats crient, menacent et sortent précipitamment. Le rugissement assourdissant d'un moteur ébranle la maison : un bulldozer entame avec sa lame un des murs du salon qui s'écroule.



Un cliquetis de clefs dans la serrure m'arrache à ma torpeur, ma femme revient de la chorale. Elle fredonne, m'embrasse dans le cou et me demande : «J'espère que tu n'as pas couché les enfants trop tard ?».


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